Maurice Bellet
La décomposition du christianisme
Article mis en ligne le 11 juin 2018
dernière modification le 24 juin 2018

par Webmaster

On peut encore en donner deux ou trois exemples particulièrement vifs aujourd’hui.

Ce qu’il advient du Credo. Ses affirmations deviennent incroyables et même, ce qui est plus grave, impensables. Il n’y a plus à s’y opposer, à les arranger, à les réinterpréter. C’est mort. De plus, ce qui paraissait au cœur de la foi, l’amour, l’agapè n’est même pas cité dans le Credo. Étrange absence ! Le christianisme perd ce qui pouvait encore en subsister : une morale ou un idéal de fraternité entre les humains.
Ce qu’il advient de la morale sexuelle. Elle paraît, nouvelle étrangeté, l’ultime bastion de la résistance doctrinale. Ailleurs, il peut se faire des concessions ; là-dessus, non. Pourquoi ? Serait-ce l’aveu involontaire que cette morale répressive est le verrou qui maintient tout le reste ? Et qu’à libérer la sexualité, morale et dogmatique perdraient toute efficacité dans ce qui fait le réel de la vie ?

Le rite se meurt. Il est déserté. Là où il subsiste, c’est trop souvent un mélange de pratiques épuisées et d’adaptations qui ne font qu’en révéler l’usure.

Si l’on en vient là, la stabilisation évoquée plus haut devient intenable. Elle apparaît comme une sorte de schizophrénie. Le chrétien qui veut « garder la foi » maintient à bout de bras le contenu des croyances qui lui parait indispensable ; mais ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il pense se détache de plus en plus de ce noyau de croyance. Et ses enfants, assez souvent, lui montrent où il va : vers une liquidation croissante de ce qui restait (mot terrible !) du christianisme.

Toutefois, ce qui le protège de cette défaite, c’est l’inconscience où il demeure du processus. Ou, s’il apparaît, nouveau déni ou abîme de perplexité. Alors, démarche héroïque : ne pas freiner le processus, aller au bout. Faire du tri, pour en garder les bons morceaux : c’est tout ce qui doit changer. C’est comme si s’opérait un renversement : on ne part plus de l’état actuel de la religion chrétienne pour la rendre compatible avec la modernité. On part de la modernité, c’est-à-dire de ce que nous sommes, pour voir si et comment la foi chrétienne peut s’y exprimer, s’y penser, y agir.

Scandale pour bien des chrétiens qui se croyaient « avancés » : ils y voient une perte de la foi. C’est le risque, en effet. Mais la logique du processus ne mène-t-elle pas jusque-là ? À fuir ce risque, ne risque-t-on pas d’enfermer la foi dans une religion qui se condamne elle-même à disparaître ?